Johnny et Emmanuel, adhérents bordelais et heureux parents de Camille, racontent leur parcours d'adoption et livrent quelques conseils aux candidats qui se lancent ou qui sont dans l'attente. Merci à eux pour ce beau partage.
"Nous sommes Johnny et Emmanuel, nous avons 40 ans et habitons Bordeaux. Après 17 ans de vie commune, nous sommes désormais les très heureux papas d’une petite fille de 18 mois que nous avons adoptée en 2019.
Moi, Emmanuel, j’avais fait le « deuil de l’enfant » quand j’ai eu pleinement assumé mon homosexualité à l’âge de 20 ans. Ça allait de paire, on ne pouvait pas être homo et parent à la fois.
Johnny, lui, m’a toujours dit que sa vie ne serait jamais pleinement accomplie sans être parent. Qu’un enfant serait la seule chose qui pourrait lui donner du sens, car il pourrait transmettre son histoire, sa culture, son savoir et le faire grandir.
En 2013, quand la loi pour le mariage pour tous a été adoptée, il est devenu évident pour Johnny qu’il fallait entamer une procédure d’adoption, a priori à l’étranger.
N’étant pas sensible à ce projet de parentalité, je l’ai laissé entamer les démarches en septembre 2013, sans croire que cela pourrait aboutir un jour, ou en tout cas pas dans l’immédiat.
Puis nous avons assisté ensemble à la première réunion d’information organisée par le Département. Réunion « choc » : l’adoption est un parcours difficile et toutes les histoires ne finissent par forcément bien… Nous avons surtout retenu que l’adoption consiste à trouver une famille à un enfant et non l’inverse. Ce point a définitivement modifié notre état d’esprit sur cette procédure longue et qui peut paraître inquisitrice.
Malgré la dureté des informations qui nous ont été données, j’ai commencé à y croire, à me projeter, mais avec toute la retenue nécessaire à ce genre de projet.
En approfondissant nos recherches, il est apparu que l’adoption serait plus « facile » en France qu’à l’étranger. Nous avons donc entamé la procédure d’agrément pour l’accueil d’un enfant pupille.
Lors du premier entretien avec l’assistante sociale je me souviens avoir dit que je ne désirais pas d’enfant jusque-là car j’en avais fait mon deuil, et que mon désir d’enfant était très récent. Je comptais sur la longueur de ce parcours pour faire grandir ce désir.
Mais la bienveillance de nos interlocuteurs, les « statistiques » (nombre d’enfants nés sous X) pour notre département nous ont rapidement donné espoir. C’est même nous qui avons mis le sujet de l’homoparentalité sur la table, car il n’avait pas encore été abordé en entretien. Tout cela a concouru à me projeter de plus en plus dans la paternité et que Johnny et moi soyons ainsi pleinement en phase dans notre désir d’enfant.
Nous projetions idéalement un bébé ou en tout cas un enfant le plus jeune possible, car nous ne nous sentions pas à l’aise à l’idée d’accueillir un enfant avec un gros bagage dont nous connaitrions difficilement le contenu, même si nous pouvions en deviner le poids…
Même s’ils étaient bienveillants et constructifs, ces entretiens étaient épuisants. Nous les avons préparés en discutant beaucoup tous les deux, de toutes les situations, de nos limites, de nos envies, de nos espoirs… Mais se mettre à nu face à un professionnel était nouveau pour nous. Nous avons échangé sur des sujets intimes qui ne sont finalement presque jamais verbalisés par de futurs parents. Nous en ressortions contents, mais rincés !
L’agrément (obtenu fin 2014) nous a paru être une formalité, mais nous avions conscience que cela n’était pas une garantie d’aboutissement de notre projet, « l’enfant n’est pas un dû » nous a-t-on souvent répété. Il restait l’attente qui allait être longue (on nous disait 3, 4 5 ans ou plus…), pendant laquelle nous serions suivis, et surtout l’inconnue sur le contenu de cette boite noire : le « Conseil de famille ».
En Gironde, le Conseil de famille a demandé aux services du Département que les dossiers homoparentaux soient traités de la même manière que les autres. Cette information était de bonne augure, mais pas suffisante. Seule la preuve d’une adoption (voire plusieurs) par un couple homo pouvait nous rassurer. Mais les dossiers étant traités dans l’ordre de dépôt, il allait falloir attendre quelques années avant d’obtenir cette preuve…
Pour des raisons administratives, on nous a attribué d’autres professionnels du Département pour assurer le suivi de notre projet post-agrément. Le Département a à cœur de rencontrer régulièrement les couples, à la fois pour être tenu informé de toute évolution de notre situation ou de notre projet, mais aussi pour continuer à le faire murir et nous accompagner dans cette attente.
Nous avons rencontré tous les 3 mois, soit l’assistante sociale, soit la psychologue. C’est cette dernière qui nous a donné le plus de fil à retordre. C’était finalement la première fois que nous rencontrions quelqu’un d’ouvertement opposé à notre projet.
Nous avons accepté cette opposition car nous la considérions constructive. Cette psychologue nous challengeait sur l’intérêt de l’enfant, son épanouissement, sur nos futurs rôles respectifs. Nous avions également été rassurés sur le fait que cette psychologue ne pouvait pas nuire à notre projet, la décision de présenter notre dossier au Conseil de famille étant prise de façon collégiale par les professionnels du bureau adoption du Département.
Cette période de « suivi », mais surtout d’attente, a été émotionnellement compliquée. Nous oscillions entre la nécessité de nous projeter et en même temps de faire preuve de retenue dans le cas où notre projet n’aboutirait pas. Parfois nous ne pensions qu’à cela, parfois nous oubliions que nous étions en procédure d’adoption.
Nous avons comblé cette attente en construisant des projets plus personnels et bassement matériels mais qui nous occupaient l’esprit.
L’attente est devenue particulièrement difficile pour deux raisons successives : notre assistante sociale nous a annoncé mi-2017 un aboutissement imminent (qui a finalement pris presque 2 ans car le Département ne peut pas prédire le nombre de bébés nés sous le secret à naître, ni leur état de santé…) et n’ayant plus de nouvelle de sa part fin 2018, nous avons appris qu’elle était arrêtée pour maladie pendant plusieurs mois. Paniqués, nous avons demandé à rencontrer la cheffe du bureau adoption (nouvellement en poste).
Elle nous a appris à cette occasion que notre dossier avait été présenté en Conseil de famille fin 2018, mais refusé. Le Conseil de famille s’est ému de l’incohérence des écrits entre l’assistante sociale et la psychologue, en demandant de nouveaux écrits. En effet, notre psychologue avait arrêté de mettre à jour notre dossier en 2017, en plus d’avoir orienté très négativement ses écrits.
Au passage, la cheffe du bureau adoption nous a demandé de lancer au plus tôt de nouvelles démarches d’agrément, le nôtre arrivant à son terme 10 mois plus tard. Ce que nous avons fait dans la foulée.
Nos familles et nos amis, qui ont toujours été à nos côtés pendant ce périple, n’osaient même plus nous demander où nous en étions de notre parcours d’adoption…
Trois mois plus tard, après deux nouveaux rendez-vous, Johnny a reçu un coup de téléphone de la secrétaire du bureau adoption, qui lui a indiqué que la cheffe du bureau adoption souhaitait nous rencontrer de nouveau.
Johnny était persuadé que c’était le jour J. Je croyais tout l’inverse, il devait y avoir encore un problème avec notre dossier dont elle voulait nous faire part.
Nous sommes arrivés fébriles au rendez-vous. Nous avons appris qu’un Conseil de famille s’était tenu 3 semaines plus tôt et nous avait confié une petite fille, prénommée Camille, dont elle nous a montré deux photos.
J’ai pleuré à très grosses larmes, comme jamais depuis des années. Johnny était très ému également, mais l’extériorisait moins que moi. La semaine suivante, nous allions nous rencontrer, pour une « semaine d’adaptation » à la pouponnière du Département.
Aujourd’hui nous sommes heureux tous les 3 et souhaitons ce même bonheur à tous les parents. Si nous avions quelques conseils à partager aux autres couples souhaitant adopter :
- l’adoption est possible en France : ça ne coûte rien (à part émotionnellement…) de vous lancer, moyennant les points qui suivent
- gardez à l’esprit que l’adoption consiste à trouver une famille à un enfant, et non l’inverse. Son issue est donc potentiellement lointaine et incertaine
- parlez de tout en couple, n’ayez aucun tabou, c’est un projet que vous menez à 2
- n’ayez pas peur de verbaliser vos limites ou vos doutes, y compris auprès des professionnels (je me souviens avoir demandé à notre assistante sociale : « et si je n’aime pas l’enfant qu’on nous confie ? ») – cela vaut évidemment pour le sujet des « besoins spécifiques » de l’enfant
- acceptez les entretiens que vous devrez suivre non pas comme des interrogatoires impudiques mais comme des échanges avec des professionnels pour vous cerner, vous aider à murir votre projet et à supporter l’attente pour être à même d’accueillir l’enfant qui aura besoin de vous et devra apprendre à vous faire confiance
- assurez-vous que vos familles et vos amis accueillent positivement ce projet, ils seront vos soutiens dans les moments de doute ou de fatigue
- pendant la phase de suivi, occupez-vous l’esprit avec d’autres projets (même futiles mais chronophages)
- allez chercher du soutien, dans des lectures, des associations, des groupes de parole, etc. On y trouve une mine de sujets que l’on n’avait pas soupçonné et qui pourtant peuvent avoir leur importance dans votre projet
- on ne vous dira pas, ou alors très rarement, en quelle « position » vous êtes sur la liste d’attente, ôtez-vous cela de la tête et relisez le second point ci-dessus :)"
Très heureux pour vous trois!
- Johanne Lemieux : La Normalité Adoptive
- Deborah Gray : Attachement et Adoption
Vous évoquez "des lectures, des associations, des groupes de paroles", en avez-vous à conseiller ?
Je vous souhaite une belle vie de famille !