À l’image de Marouane, certains hommes n’hésitent plus aujourd’hui à assumer leur désir de paternité et décident, à partir de la trentaine, d’élever seuls un enfant.
Souliers cirés et moustache bien taillée, Marouane sort du bureau. Il est 18 heures et, dans ce café de l’est parisien, l’homme de 39 ans s’est assis à l’écart pour fuir le brouhaha, un hochet multicolore à la main. À ses côtés, une poussette verte où somnole un nouveau-né de 4 mois. « J’ai beaucoup de chance, j’ai un bébé très calme et très cool », sourit Marouane, attendri, devant son Perrier menthe. Là où tous nos voisins de table sont à la bière, lui opte pour le sans alcool.
Tous les matins, qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il soit en forme ou fatigué, Marouane doit se lever à l’aube pour le premier biberon. Sa vie a changé. Ce bébé, il l’a désiré seul, il l’élève seul. « J’ai toujours voulu être papa », déclare l’homme qui a passé trois mois au Mexique cet été où son fils a été conçu par GPA (gestation pour autrui, une pratique illégale en France).
Au sein de l’APGL (Association des parents gays et lesbiens), Marouane a créé il y a peu un groupe de « papas solo » qui compte aujourd’hui plus de 70 membres partout en France. L’immense majorité de ces hommes âgés entre 35 et 45 ans se sont lancés en solitaire, et par choix, dans la grande aventure de la paternité. Une tendance plus marquée et assumée au sein de la communauté gay que chez les hétérosexuels.
L’adoption, « un chemin impossible car trop long »
À l’APGL, ils ont leurs propres groupes de discussion, échangent des trucs et astuces, organisent des week-ends de pères célibataires. « Le phénomène est en train d’émerger et de prendre de l’importance dans notre association. Ce sont des hommes qui vivent seuls avec leur enfant, sans compagnon, et l’ont choisi », confirme Dominique Boren, coprésident. À l’association Clara, qui défend les droits des enfants nés par GPA, on confirme aussi que, chaque année, une petite part des adultes qui prennent contact avec l’association sont des hommes seuls.
Marouane aura économisé quatorze ans et attendu de faire une pause dans sa vie de salarié dans la communication pour mener à bien son projet. Dans le passé, il explique avoir vécu deux relations longues avec des hommes, mais aucun n’était enthousiaste à l’idée de devenir parent. Il a donc décidé d’avancer seul. « Je ne voulais pas attendre dix ans et l’adoption était pour moi un chemin impossible car trop long. J’ai donc décidé de partir à l’étranger. Avant cela, j’ai beaucoup réfléchi à mon rôle de père, à ce que je voulais transmettre à mon enfant, j’ai vu pour cela un psy », confie-t-il.
Souvent, à la crèche, à la PMI (protection maternelle et infantile), on demande encore à Marouane si « la maman va bien ». Dans ces cas-là, Marouane ne se braque pas. Il sourit et répond du tac au tac : « Mon fils a un super papa et c’est moi », explique-t-il, avant de préciser : « En général, ça clôt la discussion. »
« Un enfant qui grandit dans une famille avec un parent solo, il est tranquille. Il n’y a jamais de disputes, c’est un environnement sans tension », met en avant Mathieu Ceschin, 50 ans, ancien candidat de « L’Amour est dans le pré » qui a accueilli il y a dix-huit mois son bébé, Ezio,et l’élève intégralement seul. « Je n’ai même pas pris de nounou, c’est mon choix », explique l’ancien agriculteur qui poursuit : « Toute ma vie a été intégralement conditionnée par ce projet. Depuis sa naissance, je me suis transformé en louve. J’ai une patience incroyable avec Ezio, ce dont j’étais complètement incapable plus tôt », éclaire celui qui a écrit deux livres sur le sujet, dont le dernier s’appelle « Un papa comme les autres » (Éditions Leduc).
Assumer son identité
« Ces pères seuls par choix, c’est un nouveau chantier qui s’ouvre, cela correspond à une époque où on redéfinit la paternité, où le père prend une nouvelle place. Aujourd’hui, la paternité se transforme, elle est de plus en plus considérée comme relationnelle et impliquée, moins comme institutionnelle, analyse la sociologue au CNRS Christine Castelain-Meunier, autrice des Hommes viennent aussi de Vénus et de L’Instinct paternel (Éditions Larousse). Ce qui frappe, c’est leur volonté d’être tranquilles dans leur manière de concevoir ce rôle. Cette paternité devient un nouveau moyen d’assumer son identité. »
« Ces pères seuls par choix, cela reste une situation rare », relativise Émilie Biland-Curinier, sociologue à Sciences-po, qui prépare pour 2026 un livre sur les droits parentaux des personnes LGBT. Selon elle, l’accès à la parentalité pour les hommes gays est de longue date un parcours d’obstacles. Elle explique que dès les années 1980-1990, des hommes avaient cherché à adopter seuls mais en avait été empêchés au motif, justement, qu’ils étaient homosexuels.
Aujourd’hui, les femmes et les couples de femmes ont un accès facilité à la PMA en France (depuis la loi de bioéthique de 2021). « Il est possible que cette évolution amène les hommes gays à rencontrer plus de difficultés à devenir père en s’arrangeant avec une femme comme cela pouvait être le cas auparavant avec la coparentalité. » Cela pourrait expliquer cette nouvelle visibilité des pères célibataires.
Les mêmes discriminations que les mères
Les hommes concernés ne cachent pas que cette vie de parent solo entièrement dévouée à un jeune enfant n’est pas toute rose. « C’est du boulot », souffle Matthieu Ceschin. « Depuis que mon bébé est là, j’ai un mode de vie millimétré, je compte tout, je m’organise très différemment. Le soir, après l’avoir couché, je rouvre mon ordinateur pour finir ma journée de travail », constate Marouane dont les parents habitent loin, au Maroc, et ne peuvent pas offrir une aide au quotidien. Le trentenaire voit aussi petit à petit le cercle de ses amis les plus proches serestreindre. « On me propose beaucoup moins de choses car on sait que je ne pourrai pas », regrette-t-il.
« Pour ces nouveaux pères, cette paternité, c’est un défi, mais l’idéal viril s’est toujours construit autour de l’idée de challenge. Aujourd’hui, ce défi se déplace sur la paternité », met en avant Christine Castelain-Meunier.
Marouane poursuit : « Je commence aussi à toucher du doigt certaines discriminations dontsont victimes les mères. » Vers 17 heures, quand il quitte son bureau à Paris pour courir chercher son fils à la crèche, il croise parfois quelques regards hostiles. Ce dont il s’indigne : « Un jour, je vais mettre les pieds dans le plat. »
Source : Le Parisien, article « Ils ont fait un bébé tout seuls : ces hommes qui se lancent en solo dans la paternité », publié le 6 novembre 2025.
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